
La loucherie pour tous :
une approche sur le strabisme chez l’enfant
Par MICHAEL J. WAN, M.D., FRCSC
Ce numéro d’Ophtalmologie - Conférences scientifiques décrit les principes généraux relatifs au strabisme chez les enfants qui se présentent généralement chez les ophtalmologistes généralistes. L’objectif global est de fournir aux cliniciens une stratégie et un diagnostic différentiel pour le strabisme pédiatrique qui, espérons-le, renforceront leur confiance lorsqu’ils seront amenés à examiner un enfant présentant un strabisme. Le numéro commence par un guide qui décrit comment évaluer un enfant atteint de strabisme. Il est ensuite divisé en sections en fonction du type de déviation, chaque section résumant les causes fréquentes et graves.
L’évaluation des enfants est particulièrement difficile. Un enfant de 2 ans admis aux urgences est rarement l’incarnation même du patient bien élevé et coopératif. Lors de l’examen d’un enfant atteint de strabisme, il est souvent préférable de se concentrer sur ce que l’on doit savoir et d’ignorer les détails superflus.
Anamnèse
Deux éléments clés de l’anamnèse sont l’apparition de la déviation et l’état de santé général. En ce qui concerne son apparition, il est presque toujours important de savoir quand la déviation a été constatée pour la première fois et s’il y a eu des événements déclenchants. Par exemple, une déviation verticale chez un enfant de 8 ans a-t-elle été identifiée pour la première fois au cours de la première année de vie ou a-t-elle été constatée récemment après un traumatisme ? L’état de santé général de l’enfant joue également un rôle essentiel dans le strabisme pédiatrique. Ainsi, environ la moitié des enfants atteints de paralysie cérébrale et du syndrome de Down présentent un strabisme¹⁻². En outre, les causes rares mais graves du strabisme, telles que la myasthénie grave et les tumeurs orbitaires, s’accompagnent souvent de signes généraux qui fournissent des indices clés pour le diagnostic³.
Examen
Bien que les parents soient souvent en mesure de fournir des informations fiables sur les antécédents, l’examen physique de l’enfant est essentiel. Les aspects les plus utiles de l’examen sont principalement les informations cliniques clés, c’est-à-dire la vision, l’alignement, la motilité, l’examen du fond de l’œil et (si vous êtes particulièrement talentueux) une réfraction cycloplégique.
Vision
La vision est un élément important dans tout examen du strabisme et comprend, si possible, une évaluation de l’acuité visuelle. Si l’enfant est incapable de lire des lettres, il peut parfois faire correspondre des lettres ou des formes de noms. Chez les enfants qui ne parlent pas encore, il est possible d’obtenir une évaluation générale de la vision en observant leur comportement visuel. Un enfant qui peut fixer et suivre confortablement avec chaque œil est susceptible d’avoir une vision relativement symétrique, contrairement à un enfant qui ne peut pas fixer avec un œil ou qui s’agite ou pleure chaque fois qu’un œil particulier est couvert.
Alignement des yeux
L’évaluation de l’alignement des yeux permet de déterminer s’il existe une véritable déviation et, si tel est le cas, dans quelle direction. L’ésotropie et l’exotropie désignent respectivement une déviation des yeux vers l’intérieur ou vers l’extérieur, tandis que l’hypertropie et l’hypotropie désignent respectivement une déviation des yeux vers le haut ou vers le bas. De nombreux enfants qui présentent une « déviation des yeux » souffrent en réalité de pseudostrabisme. Les yeux peuvent sembler tournés vers l’intérieur (pseudoésotropie) en raison d’un pont nasal large ou de plis épicanthiques. Les yeux peuvent également sembler tournés vers l’extérieur (pseudoexotropie) en raison d’un angle kappa positif ou d’une macula déplacée vers le côté temporal. Les yeux peuvent même sembler déviés verticalement en raison de modifications des paupières, telles qu’une ptose ou une rétraction palpébrale. Bien que le pseudostrabisme soit généralement bénin, il est important de savoir qu’environ 5 % des enfants présentant un pseudostrabisme présentent un strabisme plus tard dans leur vie⁴.
L’examen de référence pour mesurer l’alignement des yeux est le test prismatique alternatif, dans lequel les yeux sont couverts alternativement et un prisme est utilisé pour mesurer précisément la déviation. En cas d’urgence, il suffit généralement de vérifier le réflexe cornéen et d’effectuer un simple test de couverture. Il faut commencer par diriger une lumière vers l’enfant et observer si les réflexes cornéens sont centrés et symétriques. Si un strabisme semble présent, il faut couvrir l’œil qui semble fixer. Chez un enfant présentant une véritable déviation, l’œil dévié devrait bouger pour fixer à nouveau. Ces tests permettent de déterminer s’il existe une véritable déviation et dans quelle direction elle se situe.
Tableau 1. Strabisme chez l’enfant – Causes importantes
Motilité (concomitante vs incomitante)
Chez tout enfant atteint de strabisme, l’une des caractéristiques les plus importantes est de déterminer si la déviation est concomitante ou incomitante. Une déviation est concomitante lorsqu’elle est approximativement de même ampleur dans toutes les directions du regard. Les déviations concomitantes, telles que l’ésotropie infantile et l’exotropie intermittente, sont généralement plus fréquentes et moins graves⁵. Les déviations incomitantes, telles que la paralysie des nerfs crâniens, sont moins fréquentes et généralement plus graves⁶⁻⁷. En cas d’urgence, plutôt que de mesurer précisément la déviation dans tous les champs de vision, il faut vérifier la motilité extraoculaire. Les déviations incomitantes sont généralement causées par une parésie ou une restriction d’un ou de plusieurs muscles extraoculaires. Ainsi, une déviation concomitante est associée à une motilité extraoculaire complète, tandis qu’une déviation incomitante s’accompagne généralement d’une limitation de la motilité dans un œil ou les deux yeux.
Examen du fond de l’œil et réfraction cycloplégique
Un enfant chez qui un strabisme a été récemment diagnostiqué doit toujours subir un examen du fond de l’œil et, idéalement, une réfraction cycloplégique. Le strabisme est souvent la première manifestation externe d’une perte de vision sévère (appelée « strabisme sensoriel ») et l’examen du fond de l’œil est important, afin d’exclure les causes graves de perte de vision, telles que le rétinoblastome ou l’hypoplasie du nerf optique.
Une réfraction cycloplégique (même une tentative sérieuse) peut être très utile dans certains types de strabisme. Les parents d’un enfant présentant une ésotropie aiguë et une diplopie craignent souvent une cause grave, telle qu’une tumeur cérébrale. Cependant, l’identification d’un défaut de réfraction hypermétropique élevé permet au clinicien de rassurer les parents en leur indiquant que l’enfant aura probablement besoin de lunettes et non d’une intervention neurochirurgicale.
Ésotropie
L’ésotropie est le type de strabisme le plus fréquent chez l’enfant, représentant environ 60 % de tous les cas⁸.
Ésotropie infantile
L’ésotropie infantile ou congénitale est une forme courante de strabisme chez les très jeunes enfants. Elle se manifeste par une déviation concomitante au cours des six premiers mois de la vie⁹. La déviation est généralement importante et constante. L’enfant a généralement une fixation croisée, qui prévient l’amblyopie. Cependant, l’amblyopie peut tout de même apparaître, il est donc important d’évaluer toute asymétrie significative de la vision¹⁰. Il est également essentiel de vérifier la motilité, afin d’exclure les causes rares d’ésotropie précoce, telles qu’une paralysie congénitale du nerf crânien VI ou le syndrome de Duane. Cela peut être réalisé à l’aide d’un jouet ou d’une vidéo (les téléphones portables des parents constituent une bonne source de cibles de fixation attrayantes). Si nécessaire, la manœuvre de la tête de poupée peut être utilisée. Pour ce faire, il est nécessaire de tourner la tête de l’enfant d’un côté à l’autre, doucement mais rapidement, et les yeux doivent se déplacer dans la direction opposée en raison du réflexe vestibulo-oculaire¹¹. Un examen du fond de l’œil avec dilatation doit toujours être effectué, afin d’exclure toute maladie structurelle pouvant également se manifester par une ésotropie concomitante précoce. Dans les cas d’ésotropie infantile typique, aucun examen complémentaire n’est nécessaire. Le traitement habituel consiste à surveiller l’amblyopie et à envisager une chirurgie non urgente du strabisme¹².
Ésotropie accommodative
L’autre type fréquent d’ésotropie chez l’enfant est l’ésotropie accommodative. Il s’agit de l’un des types de strabisme les plus fréquents chez l’enfant, représentant environ 25 % de tous les cas8. L’ésotropie accommodative est similaire à l’ésotropie infantile, en ce sens qu’elles sont toutes deux fréquentes et concomitantes. Cependant, l’ésotropie accommodative a tendance à se manifester lorsque l’enfant est plus âgé (entre 1,5 et 4 ans)¹³. Une réfraction cycloplégique de base est utile à effectuer dans les cas d’ésotropie accommodative. Les enfants atteints d’ésotropie accommodative présentent souvent une hypermétropie modérée ou élevée (généralement de +3 à +10 dioptries)14. Chez un enfant présentant une ésotropie d’apparition soudaine, la présence d’une déviation concomitante et d’une hypermétropie modérée ou élevée suggère fortement qu’il s’agit d’une ésotropie accommodative. Le traitement consiste généralement en la prescription de lunettes pour corriger complètement l’hypermétropie, bien qu’environ 30 % des enfants aient également besoin d’une chirurgie du strabisme¹⁴.
Ésotropie concomitante aiguë acquise
L’ésotropie concomitante aiguë acquise est un type de strabisme infantile moins fréquent mais important. Elle se manifeste soudainement par une déviation des yeux vers l’intérieur. Elle peut être intermittente ou constante et s’accompagner d’une diplopie. L’examen révèle généralement une déviation concomitante sans hypermétropie anormalement élevée. Dans de rares cas, l’ésotropie concomitante aiguë acquise peut être associée à une maladie neurologique importante, telle qu’une tumeur de la fosse postérieure¹⁵. Il est donc important d’évaluer les signes cliniques d’une pathologie neurologique, tels qu’une paralysie du sixième nerf crânien, une augmentation de la pression intracrânienne ou un nystagmus. Le traitement consiste généralement en des injections de toxine botulique ou en une chirurgie du strabisme¹⁶.
Paralysie du nerf crânien VI
Chez tout enfant présentant une ésotropie, il est important d’exclure une paralysie du nerf crânien VI. Les paralysies du nerf crânien VI se manifestent généralement par un déficit d’abduction dans l’un des deux yeux et une ésotropie incomitante (significativement plus importante dans la direction du regard vers la paralysie ; Figure 1). Dans ces cas, il est essentiel de vérifier la motilité extraoculaire et de rechercher une incomitance latérale. Les paralysies du sixième nerf crânien chez l’enfant ont souvent une cause grave, telle qu’une tumeur intracrânienne, une pression intracrânienne élevée, un traumatisme ou une inflammation¹⁷, et nécessitent donc un examen de neuroimagerie urgent. Une fois la cause sous-jacente traitée, les paralysies du nerf crânien VI sont généralement suivies pendant au moins 6 mois avant que l’on envisage une chirurgie du strabisme, car beaucoup d’entre elles se résolvent spontanément avec le temps¹⁸.
Figure 1. Paralysie du nerf crânien VI. Limitation de l’abduction de l’œil gauche, entraînant une ésotropie incomitante plus importante lorsque le regard est dirigé vers la gauche.

Syndrome de Duane (type 1)
Le dernier type rare mais important d’ésotropie est le syndrome de Duane (ou syndrome de rétraction de Duane), une anomalie congénitale causée par un développement anormal du noyau et du nerf abducens¹⁹. Il existe plusieurs types de syndrome de Duane, dont le plus fréquent (syndrome de Duane de type 1) peut ressembler fortement à une paralysie du nerf crânien VI, avec un déficit d’abduction et une ésotropie incomitante. Contrairement à une paralysie du nerf crânien VI, le syndrome de Duane ne nécessite pas d’examen urgent afin de rechercher une cause neurologique. La différenciation peut être difficile. La principale caractéristique du syndrome de Duane est la rétraction de l’œil (ou rétrécissement de la paupière) avec tentative d’adduction. Contrairement à la paralysie du nerf crânien VI, le syndrome de Duane s’accompagne généralement d’une déviation relativement faible de la position primaire malgré un déficit important de l’abduction. Le syndrome de Duane est difficile à traiter et la chirurgie n’est souvent tentée qu’en cas de déviation de la position primaire ou de rotation importante de la tête.
Exotropie
L’exotropie est le deuxième type de strabisme le plus fréquent chez l’enfant après l’ésotropie8.
Exotropie intermittente
L’exotropie intermittente, qui est de loin la forme d’exotropie la plus fréquente chez l’enfant, se manifeste par une déviation intermittente des yeux vers l’extérieur. La déviation est concomitante et la motilité extraoculaire est complète. L’exotropie intermittente se manifeste de manière très variable, mais elle s’aggrave généralement en cas de fatigue ou de maladie et est plus difficile à contrôler à distance²⁰. Il n’y a aucun lien avec une maladie neurologique sous-jacente et l’imagerie cérébrale n’est pas nécessaire dans les cas typiques²¹. L’évolution naturelle de l’exotropie intermittente montre que la plupart des cas restent stables et que certains peuvent même s’améliorer avec le temps²². Si la déviation est bien contrôlée, une simple surveillance est recommandée. Un traitement est indiqué si la déviation s’aggrave, altère la vision ou constitue un problème psychosocial important. Bien que de nombreux traitements aient été étudiés, les deux seuls qui ont démontré une efficacité convaincante sont le cache-œil alterné²³⁻²⁴ et la chirurgie du strabisme²⁵.
Exotropie infantile
L’exotropie infantile est généralement définie comme une déviation constante à grand angle apparaissant au cours des 12 premiers mois de la vie. L’exotropie infantile n’est pas rare, mais elle est beaucoup moins fréquente que l’ésotropie infantile²⁶. Il est important de noter que de nombreux nourrissons normaux présentent une exotropie à la naissance²⁷. La plupart des nourrissons atteignent un alignement normal des yeux à l’âge de 4 mois, il est donc prudent d’attendre que l’enfant ait au moins quelques mois avant de diagnostiquer une exotropie infantile. Il est également important de savoir qu’il existe une forte association entre l’exotropie infantile et des maladies oculaires et systémiques coexistantes. Il est donc important de connaître les antécédents médicaux et de procéder à un examen complet de la vue²⁸. Comme pour l’ésotropie infantile, le traitement consiste en une chirurgie du strabisme non urgente²⁹.
Paralysie du nerf crânien III
La paralysie du nerf crânien III est une cause rare mais grave d’exotropie chez l’enfant. Environ un tiers des cas de paralysie du nerf crânien III chez l’enfant est congénital, un autre tiers est dû à un traumatisme et le tiers restant est le plus souvent dû à des affections neurologiques potentiellement mortelles, telles que des tumeurs, des anévrismes et des méningites³⁰. Fort heureusement pour les cliniciens, il existe généralement des signes clairs permettant de différencier une paralysie du nerf crânien III d’autres types d’exotropie, notamment des limitations importantes de la motilité extraoculaire (élévation, dépression et adduction), une déviation très incomitante et le fait que l’œil affecté soit généralement à la fois exotropique et hypotropique (« vers le bas et vers l’extérieur »). Il peut également y avoir une ptose ipsilatérale et une pupille dilatée (Figure 2). Le bilan à réaliser en cas de paralysie du nerf crânien III est une neuro-imagerie urgente (idéalement une imagerie par résonance magnétique/angiographie). Si l’alignement des yeux ne s’améliore pas avec le temps, une intervention chirurgicale peut être envisagée, bien que les résultats soient généralement médiocres³¹.
Figure 2. Paralysie du nerf crânien III. Exotropie de l’œil droit associée à une ptose ipsilatérale et à une pupille dilatée.

Hypertropie/Hypotropie
L’hypertropie est un type de déviation oculaire dans lequel un œil dévie vers le haut, tandis que l’hypotropie est un type de déviation dans lequel un œil dévie vers le bas. Par définition, lorsqu’un œil dévie vers le haut, l’autre doit relativement dévier vers le bas, de sorte que l’hypertropie et l’hypotropie coexistent toujours.
Déviation verticale dissociée (DVD)/hyperactivité du muscle petit oblique (IOOA)
Les déviations verticales sont beaucoup moins fréquentes que les déviations horizontales chez l’enfant8. Par conséquent, les déviations verticales associées à des déviations horizontales (DVD et IOOA) sont deux des formes les plus fréquentes de strabisme vertical chez l’enfant. L’identification d’une déviation verticale correspondant à une DVD ou une IOOA doit inciter le clinicien à s’interroger sur les antécédents oculaires du patient, car il peut y avoir eu une déviation horizontale qui a été corrigée chirurgicalement et qui n’est plus apparente à l’examen.
La DVD est un phénomène mal compris dans lequel un œil dévie vers le haut³². Elle se manifeste généralement lorsque la personne ne regarde pas activement ou lorsqu’un œil est couvert. Elle est associée à un strabisme précoce de tout type. La DVD n’a pas d’incidence sur le développement visuel et s’améliore souvent avec le temps, de sorte qu’un traitement n’est généralement pas nécessaire. Toutefois, il existe des options chirurgicales si elle devient un problème psychosocial³³.
L’IOOA est une autre forme de déviation verticale associée à un strabisme horizontal précoce, en particulier l’ésotropie infantile. Elle diffère de la DVD par le fait qu’elle provoque une hypertropie uniquement en adduction. Une hyperactivité bilatérale du muscle petit oblique peut également causer un motif en V, dans lequel les yeux sont nettement plus ésotropes en regardant vers le bas qu’en regardant vers le haut. Comme la DVD, l’IOOA ne nécessite pas nécessairement de correction, mais la chirurgie est une option si la déviation entraîne un problème psychosocial ou pour corriger un motif en V³⁴.
Syndrome de Brown/déficience de l’élévation monoculaire (MED)
Il existe deux affections causant des déviations verticales du regard vers le haut : le syndrome de Brown et la MED. La principale caractéristique clinique qui permet de les différencier est que le syndrome de Brown entraîne une limitation de l’élévation principalement en adduction, tandis que la MED entraîne une limitation généralisée du regard vers le haut. La cause sous-jacente est également différente : le syndrome de Brown est causé par une restriction mécanique du muscle oblique supérieur et de son tendon, tandis que la MED peut être due à une parésie supranucléaire ou à une restriction du muscle droit inférieur³⁵⁻³⁶. Le syndrome de Brown peut être congénital ou acquis (suite à un traumatisme, une intervention chirurgicale ou une inflammation), tandis que la MED est généralement congénitale. Le traitement est chirurgical dans les deux cas, mais il n’est nécessaire qu’en cas de déviation de la position primaire ou de posture anormale de la tête avec le menton relevé³⁷⁻³⁸.
Fracture du plancher orbitaire avec piégeage du muscle droit inférieur
Une fracture du plancher orbitaire avec piégeage du muscle droit inférieur est une cause rare de strabisme vertical chez l’enfant qui nécessite un diagnostic et une prise en charge urgents. Elle est généralement causée par un traumatisme important entraînant une fracture par éclatement du plancher orbitaire³⁹. La fracture est généralement visible à la tomodensitométrie. Cependant, l’enfant peut présenter une fracture en « trappe » dans laquelle les os mous reviennent à leur position d’origine tout en emprisonnant encore le muscle droit inférieur ou les tissus mous associés⁴⁰. Chez tout enfant présentant une fracture du plancher orbitaire, il est impératif de vérifier s’il existe une limitation du regard vers le haut. Le muscle droit inférieur emprisonné doit être libéré par une intervention chirurgicale urgente (idéalement dans les heures qui suivent), afin de prévenir une ischémie et un strabisme vertical à long terme difficile à traiter⁴¹.
Tout ce qui précède (déviation variable)
Plusieurs pathologies importantes peuvent se manifester sous presque toutes les formes de déviation.
Strabisme sensoriel
Le strabisme est fréquent chez les enfants présentant une déficience visuelle dans un œil ou les deux yeux. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est important de vérifier la vision de tout enfant présentant un strabisme d’apparition récente, car la cause sous-jacente peut être une mauvaise vision. Dans le strabisme sensoriel, la déviation est généralement concomitante, mais la direction de la déviation est variable. Les maladies congénitales provoquent généralement une ésotropie et les maladies acquises provoquent généralement une exotropie, bien que ce ne soit pas toujours le cas⁴². La chirurgie est généralement réservée aux cas présentant un problème psychosocial, d’autant plus que l’alignement a tendance à être instable au fil du temps⁴³.
Myasthénie grave (MG)
La MG est un trouble de la transmission neuromusculaire qui se manifeste généralement par une faiblesse musculaire due à la fatigue⁴⁴. Bien que rare chez les enfants, la MG est un diagnostic important à prendre en compte, car elle peut se manifester avec n’importe quel type de strabisme. Tous les muscles squelettiques peuvent être touchés, d’autres signes peuvent donc inclure une ptose dû à la fatigue et une faiblesse généralisée⁴⁴. L’étape clé de la prise en charge consiste à reconnaître les signes de la MG le plus tôt possible, car une MG non traitée peut évoluer vers une insuffisance respiratoire⁴⁵. Le traitement vise principalement la cause sous-jacente, souvent auto-immune³.
Tumeur orbitaire extraconale
Alors qu’une tumeur orbitaire intraconale pousse généralement le globe oculaire vers l’avant et provoque une proptose, une tumeur orbitaire extraconale peut déplacer l’œil et se manifester par un strabisme. La tumeur orbitaire bénigne la plus fréquente chez l’enfant est l’hémangiome capillaire, qui se développe généralement rapidement au cours des six premiers mois de la vie et disparaît avec le temps⁴⁶. La tumeur orbitaire maligne primaire la plus fréquente chez l’enfant est le rhabdomyosarcome et la métastase orbitaire la plus fréquente est le neuroblastome, qui peuvent tous deux évoluer rapidement et être potentiellement mortels⁴⁷⁻⁴⁸. En cas de suspicion de tumeur orbitaire chez un enfant présentant un strabisme, il convient de prescrire une imagerie orbitaire, de manière urgente en cas de suspicion de malignité.
Posture anormale de la tête
Les déviations oculaires importantes chez les enfants peuvent se manifester principalement par une posture anormale de la tête (c’est-à-dire que les yeux provoquent un mouvement de la tête), par opposition à un désalignement oculaire évident.
Paralysie du nerf crânien IV
Une paralysie du nerf crânien IV entraîne une faiblesse du muscle oblique supérieur, ce qui produit une hypertropie mesurable dans l’œil touché. La fonction principale du muscle oblique supérieur étant l’incyclotorsion, une paralysie du nerf crânien IV se manifeste souvent par une inclinaison de la tête plutôt que par un strabisme (Figure 3). Afin de différencier une inclinaison de la tête due à une paralysie du nerf crânien IV d’autres causes, telles que le torticolis musculo-squelettique, une technique consiste simplement à incliner la tête de l’enfant dans l’autre sens et à rechercher une déviation verticale.
Figure 3. Paralysie du nerf crânien IV, se manifestant par une inclinaison de la tête dans le sens opposé à l’œil atteint.

Les paralysies congénitales du nerf crânien IV sont fréquentes et peuvent survenir à tout âge⁴⁹. Il est important de différencier une paralysie congénitale d’une paralysie acquise, car une paralysie congénitale ne nécessite pas d’examens complémentaires. L’un des moyens les plus simples d’identifier une paralysie congénitale consiste à examiner des photos de l’enfant lorsqu’il était plus jeune, qui montreront généralement une légère inclinaison de la tête qui n’avait tout simplement pas été remarquée à ce moment-là. Les paralysies acquises du nerf crânien IV sont souvent dues à un traumatisme, mais peuvent également être causées par des néoplasmes intracrâniens ou une pression intracrânienne élevée¹⁸. Ainsi, si la paralysie du nerf crânien IV est acquise et qu’il n’y a pas de cause évidente, il convient de réaliser d’urgence une imagerie cérébrale. Une paralysie légère avec une inclinaison minimale de la tête et aucun strabisme manifeste ne nécessite pas de traitement. Les enfants présentant une inclinaison importante de la tête (ou une hypertropie manifeste importante) peuvent généralement être traités avec succès par chirurgie⁵⁰.
Nystagmus
Bien qu’il ne s’agisse pas techniquement d’un type de strabisme, le nystagmus mérite d’être mentionné, car il peut également se manifester par une posture anormale de la tête. Les enfants atteints de nystagmus bougent fréquemment la tête - rotation, inclinaison ou les deux - pour trouver un point nul, où le nystagmus est minimal et qui optimise la vision. Comme pour une paralysie du nerf crânien IV, une stratégie pour diagnostiquer un nystagmus léger consiste à déplacer la tête de l’enfant dans la direction opposée à sa position préférée. Cela permet généralement de déplacer les yeux hors du point nul et de faciliter l’identification du nystagmus. Le nystagmus chez l’enfant peut avoir de nombreuses causes potentielles et un bilan peut être nécessaire (électrorétinogramme, tests génétiques et/ou neuroimagerie) en fonction du scénario clinique.
Conclusion
L’identification, la classification et la prise en charge (si nécessaire) d’un problème médical grave, tel qu’une déviation oculaire, sont particulièrement difficiles chez l’enfant. Il est important de connaître les causes potentielles sous-jacentes du strabisme et leur manifestation, afin de différencier une forme fréquente de strabisme (telle que l’exotropie intermittente) d’une forme potentiellement mortelle (telle qu’une paralysie du nerf crânien III ou une MG).
Le Dʳ Wan est professeur adjoint au département d’ophtalmologie et des sciences de la vision de l’Université de Toronto et ophtalmologiste pédiatrique au Sick Kids Hospital de Toronto, en Ontario.
DIVULGATION :
Le Dʳ Wan déclare qu’il n’a aucune divulgation à faire en association avec le contenu de cette publication.
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